Nous avons grandi avec M. Chirac, par Charles Wright
source: Le Monde, 5 octobre 2006.
L’heure du bilan approche. Journalistes, essayistes, historiens se penchent, ici et là, avec une impartialité plus ou moins sujette à caution, sur les « années Chirac ». Que restera-t-il de ces douze années passées à présider aux destinées de la France ? Que devons-nous retenir de son action, de ses combats et de ses réalisations ? En quoi a-t-il imprimé sa marque sur notre époque ?
L’exercice est inévitable, bien qu’un peu stérile : l’Histoire se chargera bien assez tôt d’accomplir ce travail, en reléguant dans l’oubli ce qui apparaît essentiel aux contemporains, en retenant, au contraire, pour la postérité, des conduites qui présentent aujourd’hui l’apparence du dérisoire et de l’anecdotique. Laissons donc le temps opérer et la poussière des événements se déposer !
S’il apparaît donc prématuré de déterminer et de fixer le sens des « années Chirac », il est en revanche possible, dés à présent, de dresser un constat indéniable : militant, apolitique, spectateurs ou acteurs de la vie publique, de droite, de gauche, bobo, prolo, gaucho, écolo, quelques soit nos adhérences, nos croyances, nos appartenances, nous sommes nés aux alentours des années 1980 et nous avons grandi avec Jacques Chirac.
Sa figure, sa gestuelle, sa jovialité, ses postures, ses caricatures font partie intégrante de notre paysage sensible, comme disent les historiens. L’éveil de nos consciences coïncide avec son accession à la Présidence de la République. Nos premiers émois, nos premiers apprentissages ont été rythmés par ses interventions télévisées, par ses prises de positions, que celles-ci aient générées satisfaction ou désillusion. Aussi loin que l’on remonte dans nos souvenirs, et quelque soit le degré de sophistication de nos consciences politiques, sa figure plus ou moins évanescente est présente en arrière-fond.
Alors que nous subissons avec angoisse les conséquences d’une modification profonde des structures de notre civilisation, Jacques Chirac aura joué comme il a pu, pour notre génération, le rôle d’autorité morale, de boussole, à l’orientation aussi incertaine que ne le sont les évolutions du monde contemporain.
De la même manière qu’il a accompagné, indirectement, les vicissitudes de nos existences d’adolescent(e)s puis de jeunes adultes, il a ponctué de sa présence les temps forts de la Nation, vibrant avec le pays dans les moments heureux comme la victoire des Bleus en 1998, absorbant ses souffrances lors de la tempête de décembre 1999, des inondations de la Somme et de la Bretagne en 2001, de l’explosion de l’usine AZF ou de la crise des banlieues en 2005, dans une conception compassionnelle de la vie publique qui est sa marque de fabrique.
C’est pourquoi, quelque soit le regard que nous portons, à titre personnel, sur l’action du chef de l’Etat, notre génération se sentira immanquablement, en mai 2007, orpheline et dépossédée.
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