Le succès de François Bayrou dans les sondages m'invite à sortir du silence. Etant l'un des rares survivants de la petite équipe qui, autour de Jean Lecanuet, Joseph Fontanet, Jacques Duhamel, René Pleven, Bernard Stasi, créa le Centre démocrate, dans l'été 1962, pour nous démarquer d'un gaullisme encore imprégné de souverainisme, et dont nous redoutions qu'il casse les reins à l'élan de la construction européenne, je devrais me réjouir de cette percée. Tout au contraire, j'en suis angoissé, et voici pourquoi.
C'est le même sentiment qui, en 1969, me poussait à dissuader Alain Poher, dont j'avais été le collaborateur et dont j'étais l'ami, de se présenter à la succession du Général. Il pouvait être élu. Il n'aurait pas pu gouverner, faute de majorité. En 1974, Valéry Giscard d'Estaing échappa à ce danger de blocage en obtenant, grâce à Jacques Chirac, le soutien des gaullistes. Sa démarche était dépourvue d'ambiguïté.
Aujourd'hui, l'élection d'un candidat qui cultive le strabisme entre la gauche et la droite serait désastreuse. Laissons de côté les aspects personnels de quelqu'un chez qui le culte de l'ego n'est pas absent et dont les performances au ministère de l'éducation s'arrêtent à une délégation de pouvoir aux syndicats. Quelques réserves qu'inspire légitimement notre "système" institutionnel et électoral, personne ne peut ignorer que derrière l'élection présidentielle se profile une élection législative, dont le mode de scrutin ne se prête pas à transcender le clivage entre la gauche et la droite, et donc à dégager la majorité nécessaire à François Bayrou.
UNE FAUSSE BONNE IDÉE
Dès lors, les institutions, dans les textes et dans la pratique, interdisent de voir autre chose dans la démarche personnelle du candidat qu'une fausse bonne idée, une sorte de Canada Dry. Prenons-y garde. Le signataire de ces lignes n'a cessé depuis vingt-cinq ans, à travers les activités du Club Vauban, de lutter pour que le bipolarisme de notre échiquier politique ne fasse pas perdre de vue les convergences entre sociaux-démocrates et socio-libéraux.
Pour autant, le "système" institutionnel et électoral qui est le nôtre interdit de penser qu'on puisse imaginer une majorité stable qui transcende la ligne de partage. Je me crois donc astreint à le dire à haute voix : attention, danger. François Bayrou, ce n'est pas le changement, c'est l'impasse. www.lemonde.fr
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