
LA CHRONIQUE d'Yves de Kerdrel.
Philippe Noiret, qui vient de quitter cette terre, disait : « Je n'ai pas d'idées générales. J'ai déjà du mal avec les idées particulières. » Ségolène Royal est aussi dans ce cas-là. Elle semble goûter, apprécier, voire savourer tout particulièrement les idées très générales, les formules creuses et les poncifs du moment. Mais elle a quelque difficulté à aller plus loin. Le principal souci de la candidate socialiste, ce n'est pas d'exprimer des idées, mais c'est bien de trouver des idées à exprimer. Comme le disait Joubert, l'ami de coeur de Chateaubriand : « Jamais les mots ne manquent aux idées. Ce sont plutôt les idées qui manquent aux mots. »
On pourrait rire de cette situation, s'amuser d'une candidate qui s'est acquis une popularité nationale, non seulement par son sourire bien posé et ses vestes blanches bien portées, mais aussi par ces formules fourre-tout. On pourrait imaginer qu'après cinq mois de campagne acharnée avec un candidat de droite, il ne restera plus grand-chose de ces phrases construites dans un mélange de sociologie et de communication publicitaire. On pourrait aussi espérer qu'à force de préciser le contenu de ces slogans, elle finisse par révéler un programme qui n'a rien à voir avec celui de son électorat traditionnel. Mais ce serait trop beau et trop simple.
Prenons un exemple. Ségolène Royal a bâti l'essentiel de son discours, depuis un an maintenant, sur le « désir de construire et d'établir un ordre juste ». Soit. Cela fait donc plusieurs mois qu'à chaque rencontre avec des militants, elle parle de cet « ordre juste, » qu'elle se fait applaudir sur ce concept et sur la logorrhée qui l'entoure. Cela représente au total des centaines d'occasions de tester ce message et d'essayer de mettre derrière ces deux mots des idées précises. Et bien non ; rien à faire ! Il n'a jamais été possible d'en savoir un peu plus. À tel point que, lorsqu'il y a une semaine, au journal télévisé, le présentateur a tenté de pousser la candidate dans ses retranchements, sa réponse a été : « Aux Français de me dire ce qu'ils entendent par ordre juste. »
Au lieu d'amener l'opinion à débattre de sujets importants pour l'avenir et d'idées nouvelles, Ségolène Royal a donc fait le choix de suivre cette opinion. C'est ce qu'elle appelle la « démocratie participative ». Deux mots pompeux qui reviennent à dire : j'adopterai les idées du plus grand nombre de manière à ce que la popularité que j'ai acquise ne s'effrite pas au moment du choc des projets. Un proverbe chinois dit que « lorsque le sage montre les étoiles du doigt, l'idiot préfère regarder le doigt ». Et bien Ségolène Royal en convient : elle va regarder et suivre le doigt que pointe « l'intelligence collective ». lire la suite