
Par Muriel GREMILLET
Liberation : jeudi 1 février 2007 Envoyée spéciale à l'Usine McCormick (Saint-Dizier)
Ce n'est pas qu'ils aient viré sarkozystes. C'est plutôt que le discours de Nicolas Sarkozy commence à tourner dans les ateliers et à être repris dans les discussions de comptoir. Voire dans les assemblées syndicales. En quelques discours, en quelques visites d'usines bien ciblées, le ministre de l'Intérieur s'installe comme une option électorale chez les ouvriers de Saint-Dizier. «Ce n'est pas qu'ils le choisiront à la fin, dit Jean-Luc Jeandel, le leader CGT de l'usine de tracteurs McCormick. Mais les gars ont l'impression qu'il n'y a que Marine Le Pen et Sarko qui parlent de leur vie de tous les jours.» Le candidat de l'UMP marque ainsi des points quand il enfourche deux thèmes : le travail qui doit payer et la chasse «à ceux qui profitent du RMI», comme l'explique un métallurgiste. «Ici, on ne gagne pas le Smic, note un salarié. Mais voilà sept ans qu'on a pas été augmentés. Alors petit à petit l'écart se réduit avec ceux qui gagnent juste le Smic. Et le seul moyen de gagner plus c'est de faire des heures sup.» Dans l'usine, depuis toujours, la mobilisation syndicale était forte pour refuser les heures supplémentaires et faire embaucher des salariés sur les postes vacants. Mais la donne a changé : «On sent bien que le discours martelé sur "travailler plus pour gagner plus" est passé, dit un ancien. On a essayé il y a quelques semaines de faire une action antiheures sup, personne n'a suivi. Maintenant, c'est chacun pour sa gueule.» Il y a un an, 280 personnes sur un effectif de 700 ont été licenciées de l'usine, après trois semaines de grève. Depuis, le climat social a changé. La perception des discours politiques aussi : «Les gars disent : "La gauche veut augmenter les impôts, va faire de l'assistanat de gauche, explique Jean-Marie Louveau de la CFDT. Ils ne nous donnent pas de réponse claire, on va essayer la droite."» Les syndicalistes déplorent qu' «aujourd'hui, la seule préoccupation des gars, c'est de rouler en 407 flambant neuve. Ils se saignent pour jouer les riches, empruntent pour avoir un pavillon. Ils croient qu'ils peuvent s'en sortir seuls. Alors c'est sûr les discours de Sarko, sur la réussite individuelle, ça les flatte». Surtout quand le candidat fustige les RMistes : «Y'a peut-être pas de mal à ce qu'un gars qui touche les allocs puisse repeindre les volets de l'école ou ramasser les papiers», dit un ouvrier. Autre phrase imparable : «L'ennemi, avant, c'était le patron, dit un ouvrier. Maintenant, c'est n'importe qui. Je suis dégoûté par ces types qui portent un bleu et dès qu'ils sortent, votent à droite ou à l'extrême droite.» Car la seule certitude à l'usine, c'est que comme en 2002, la gauche aura du mal à enthousiasmer les votants : «Elle vient dans les usines, Ségolène ?» interroge un ouvrier. «Hollande, Royal, tu ne les verras pas ici, dit un autre. Ils préfèrent aller draguer le ventre mou des fonctionnaires, des cadres.» «Le PS est un parti de classes moyennes supérieures, dit Raymond. Pas d'ouvriers. On ne les intéresse pas.» Alors, même dans la bouche de Sarkozy, les mots «usine» et «ouvrier» font chaud au coeur de ceux qui se sentent oubliés. «Moi, je me lève à 4 h 15, dit un salarié. Alors quand j'entends Sarko dire qu'il est le candidat de la France qui se lève tôt, ça me plaît, c'est concret.» http://www.liberation.fr/actualite/politiques/232292.FR.php